Manifester
Read MoreA l’instar du mouvement des chômeurs de 1997, les Gilets jaunes ont su arracher les classes populaires à l'invisibilité, c'est à dire à l'isolement, au silence, à l’inexistence. Ce mouvement a ainsi redonné une fierté à tous les hommes et toutes les femmes que la misère et les difficultés de l'existence renvoient d’ordinaire à l’oubli et à la honte de soi. Surtout, il a réussi ce "miracle social" d'abolir temporairement les fausses oppositions entre petit indépendant et salariat subalterne, travailleurs et non travailleurs, monde du public et monde du privé, travailleurs précaires et bénéficiaires d’allocations de misère. Grâce à son inventivité, il a permis de rompre avec le fatalisme politique.
Mouvement des "Gilets jaunes" (Compiègne, 2019)Les Gilets jaunes ont largement réinterprété la manifestation et, plus généralement, les manières de lutter : revendications larges, offensives et non-sectorielles, actions fixées notamment le week-end afin que ceux qui n'ont pas les moyens de se mettre en grève puissent y participer, utilisation de symboles fédérateurs capables de dépasser les oppositions partisanes et syndicales (le Gilet fluorescent, le drapeau français ou la marseillaise), investissement d'espaces publics connus de tous et réellement ouverts à tous (ronds-points, supermarchés, entrepôts, etc), cibles symboliques multiples et surtout variété des modes d'actions afin d'offrir à chacun une place dans le mouvement, rapport "pratique" à la politique qui répond à l'urgence des plus pauvres... Ces innovations (parfois ces réappropriations à d'autres mouvements sociaux) ont donné aux Gilets jaunes un air de révolte de profanes. Elles ont surtout démontré leur efficacité pour mobiliser les plus précaires.
Ligne 1: Blocage d'un entrepôt à proximité de Compiègne/ Ouverture du Péage de Chamant (Senlis) / Un GJ joue du drapeau sur le bord de la route où s'est installée une cabane.
Ligne 2 : Devant le Château de Chantilly puis sur hippodrome occupé.
Ligne 3 : A Paris, à proximité de la Place de L'Etoile dans le 16ème arrondissementLa manifestation est aussi une scène de théâtre sur laquelle les participants manipulent des symboles et tentent de convaincre les passants et les spectateurs de les rejoindre. John, chauffeur déménageur de 24 ans, fait partie des organisateurs du mouvement des Gilets jaunes dans le département de l'Oise. Ci-dessus, il fait arrêter le cortège devant une caserne afin de rendre hommage aux pompiers qui portent secours aux nombreux blessés dans les manifestations. Une manière également pour lui de rendre visibles ces "invisibles", de symboliser sa force personnelle et, à travers lui, celle du groupe.
Mouvement des "Gilets jaunes", Compiègne, 2019.Face à l’insensibilité générique des médias aux mouvements sociaux et à la concurrence qu’exercent les scènes de violence dans les manifestations (les plus susceptibles d’accroître l’audimat), les manifestants recherchent de plus en plus souvent des objectifs symboliques capables d’augmenter leur visibilité. Pour les Gilets jaunes de l’Oise qui occupent ici l’hippodrome de Chantilly, l’objectif est double : d’une part, s’immiscer dans ce « monde des riches » symbolisé par les grandes courses hippiques et, d’autre part, occuper le terrain le plus longtemps possible afin de retarder le début des courses et passer en direct à la télévision.
Mobilisation des Gilets jaunes, Chantilly, 2019.En France, les étrangers sont durablement exclus du droit de vote puisqu'il faut attendre 1993 pour que soit offerte aux seuls ressortissants de l'UE la possibilité de voter aux élections municipales et européennes. Citoyens de seconde zone, encore aujourd'hui invisibilisés dans l'espace public, leur cas évoque singulièrement celui des classes populaires dont l'expression politique est régulièrement remise en cause par différents processus. Les manifestations de "sans-papiers" rappellent aussi que la rue est l’espace de prédilection des "sans-voix" : pour celles et ceux qui sont dépossédés de toute participation réelle aux décisions politiques, elle reste le principal moyen de se faire entendre.
Marche pour la justice et la dignité (Paris, 2017)Dysfonctionnements structurels de l’IGPN, dénis des violences policières et du racisme, contrôles au faciès, usages disproportionnés de la force (matraquages façon "afghane", gazages, tirs en pleine tête, etc. ) : la crédibilité de l'institution policière est régulièrement mise à mal en France. Face à des policiers voyous et des crimes donnant lieu à des peines purement symboliques, l’État alimente l’idée d'un "racisme structurel" et d’une justice d’exception pour les policiers. Ces dernières années, plusieurs collectifs de victimes des violences policières ont créé des ponts avec différents mouvements analysant les logiques "néo-coloniales" à l’œuvre dans le fonctionnement de l’État et ses institutions.
De gauche à droite : Marche pour la Justice et la Dignité (Paris, 2017) / Rassemblement contre les violences policières (affaire Théo, Paris, 2017) / Mouvement des "Gilets jaunes" (Paris, 2018) / Marche pour la Justice et la Dignité (Paris, 2017)Le collectif "Rosa Parks" est parti de l'initiative d'un ensemble d'associations mobilisées pour protester contre les inégalités structurelles, les violences policières, le racisme et la ségrégation ethnique. Tout en étant inclusif, leur antiracisme revendique une égalité des droits qui passe par une critique radicale du système néolibéral. Le nom de ce collectif fait référence à une femme, noire, couturière, qui en 1955 aux EU refuse d’aller s’asseoir à la place située à l’arrière du bus qui lui est assignée : "Ce jour-là, Rosa Parks est restée assise devant, pour que nous puissions vivre debout avec dignité."
Manifestation du collectif Rosa Parks pour l'égalité des droits, Paris, 2018.Avec l'affaiblissement des syndicats et du mouvement ouvrier, de nouveaux mouvements sociaux tentent d'inventer des modes d'actions capables d'utiliser les médias de manière stratégique et d'amplifier le soutien de "l'opinion" à leurs causes. En France, l'association Attac est l'une des premières à avoir mobilisé autour des questions relatives à la globalisation financière et à la dictature des marchés sur la vie des citoyens. Ci-dessus, des militants mettent en scène une action de chaos climatique devant une banque HSBC des Champs Élysées. L'association entend dénoncer notamment les investissements de cette banque d'affaire dans les énergies fossiles (14 milliards de dollars entre 2015 et 2017) ainsi que l'évasion fiscale dont est complice le gouvernement Français incarné ici par Emmanuel Macron.
Action de l'association Attac contre la banque HSBC, Paris, 2018.En 2021, le mouvement d'occupation des lieux culturels répond à la colère et parfois au désespoir suscité par une nouvelle réforme de l'assurance chômage. Alors que la crise sanitaire a privé d'emploi des millions de personnes, que les associations caritatives ont recensé plus de 1 million de nouveaux pauvres et une augmentation d’environ 30% du nombre de bénéficiaires de l’aide alimentaire, le gouvernement entend réformer à la fois les règles de calcul et les conditions d'accès à l'assurance chômage. D’après la plupart des estimations, celle-ci conduira à une baisse drastique du montant des allocations pour au moins 1,2 million de personnes. Les travailleurs les plus fragiles sont parmi les plus impactés.
Mobilisation contre la réforme de l'assurance chômage (Paris, 2021).Cette mobilisation dépasse largement le cas des seules professions artistiques. Dans les manifestations comme dans les lieux occupés, on y rencontre à la fois des artistes (comédiens, musiciens, plasticiens, etc.), mais aussi une partie des « invisibles » du monde du spectacle et de l’événementiel tels que des régisseurs, des maîtres d’hôtel, des guides, des conférenciers.
Mobilisation contre la réforme de l'assurance chômage (Paris, 2021).Face aux effets destructeurs du chômage, les intermittents de l’emploi multiplient les actions symboliques pour défendre le droit d'exercer leur travail et d'en vivre dignement. "Flash case", occupations de Pôle emploi, Happening devant le ministère de l'économie et des finances, etc.
Mobilisation contre la réforme de l'assurance chômage (Paris, 2021).Les mouvements sociaux qui luttent contre la crise écologique se sont considérablement développés au cours des deux dernières décennies. En raison notamment de transformations politiques et culturelle, d'opportunités (une part croissante des États ont reconnu ce sujet comme un problème politique légitime) et d'accumulation de ressources journalistiques et militantes (via des ONG internationales puissantes), ces mouvements bénéficient aujourd'hui d'une large visibilité et d'un traitement globalement favorables dans les médias. Leurs cortèges, souvent festifs et pacifiques, parviennent singulièrement à attirer les femmes, les urbains, les jeunes et plus généralement les membres se situant au "pole culturel" de l'espace social. Les classes populaires sont en revanche relativement absentes de ces grandes mobilisations. De fait, les mouvements écologistes ayant intégré dans leur combat la critique du marché, des accords de libre échange, des politiques d'austérité, de la répartition des richesses, etc. sont encore très marginaux.
Marche mondiale pour le climat (Paris, 2019)En France, les femmes n'obtiennent le droit de vote qu'en 1944. Pendant longtemps, celui-ci leur était refusé en raison d’arguments misogynes : les femmes seraient faites pour être des mères et de bonnes épouses, ce qui serait incomcompatible avec l’exercice du droit de vote ou d’un mandat politique. Par ailleurs, certains, à gauche comme à droite, redoutaient l’influence de l’Église sur le vote féminin. Après la Première Guerre mondiale et grâce à des pionnières du mouvement féministe comme les suffragettes en GB, le débat évolue progressivement pour leur concéder ce droit.
Les luttes des femmes n'ont cependant jamais été exclusivement centrées sur les droits des femmes. Dès le début du 20ème siècle, elles se mobilisent tantôt au non de l'égalité, tantôt au nom de leurs différences, toujours contre les injustices dont elles étaient victimes, réclamant à la fois, le droit au travail, à l'éducation, le droit de vote et également le droit à la "libre maternité".
Manifestation contre les violences faites aux femmes, Paris 2016.Parce que l'oppression des femmes prend des formes multiples (injures sexistes, inégalités de salaires, dévalorisation des compétences féminines, harcèlement sexuel, etc.) qui se cumulent et s'articulent à d'autres inégalités sociales, les femmes sont présentes dans la plupart des mobilisations. Quand elles luttent pour leur dignité ou leur droit à la parole, elles se situent à la fois sur le terrain de la lutte des classes et sur celui de la lutte contre l’oppression sexiste, même si elles-mêmes n’en ont pas toujours conscience.
Ligne 1 : Manifestation contre les violences faites aux femmes (Paris, 2016) / Marche mondiale pour le climat (Paris, 2019)
Ligne 2: Mouvement des Gilets jaunes (Rungis, 2018) / Manifestation anti-Trump (Paris, 2016)Les différents métiers et professions font une place inégale aux femmes. Il en est de même des mouvements sociaux qui comportent toujours une dimension sexuée. Ces derniers sont en effet plus ou moins mixtes dans leur composition, mais surtout leur organisation interne et leurs objectifs reflètent, et parfois mettent en cause, la division sociale et sexuelle du travail et les rapports de pouvoir entre hommes et femmes.
Dans les secteurs mixtes à majorité féminine qui valorisent des compétences "relationnelles" comme l'éducation et surtout les secteurs sanitaire et social (infirmières, assistantes sociales, etc.), il n'est plus exceptionnel que des femmes deviennent les portes paroles de l'ensemble du groupe. Cette reconnaissance n'est cependant jamais aussi évidente que pour les hommes. Elle suppose souvent un combat à l'intérieur du groupe mobilisé.
Manifestation contre la sélection à l'Université (Paris, 2018)Dans la période contemporaine, les actrices du mouvement féministe ont centré leurs luttes contre les discriminations sexistes, l'adversaire pouvant revêtir des formes diverses : Les hommes (conçus comme groupe biologique), le "patriarcat", la "misogynie" ou encore la "division sexuelle et sociale du travail" dans toutes les sphères de la société. Pour certaines, l'enjeu de ces luttes est la reconnaissance de la "différence sexuelle". Pour d'autres, au contraire, il s'agit de mettre en cause la construction sociale de la différence des sexes (nombre d'entre elles considérant que l'égalité ne consiste pas dans le partage du pouvoir avec les hommes, mais suppose une transformation globale des rapports sociaux).
Manifestation anti-Trump (Paris, 2016).