S'organiser pour tenir. Coûte que coûte...
Read MoreSandrina (ancienne responsable marketing aujourd'hui au RSA) et Régis (chauffeur livreur) déchargent des palettes récupérées à son travail. Alors qu’une vague de froid est prévue pour la fin de la semaine, elles alimenteront le brasero du camp de Chevrières : une nécessité pour maintenir ouvert ce lieu d’accueil, de réunions et d’informations.
Au 16 janvier, le mouvement a fait 11 morts dont 5 gilets jaunes et Zineb, une dame de 80 ans, décédée suite à un tir de grenade lacrymogène alors qu’elle fermait ses volets après la marche pour un logement digne à Marseille. Les occupants du Bois de Lihus leur rendent hommage avec ce Mémorial : une mémoire collective se construit.
Revendications et poésie au camp du Bois de Lihus. Même si elles sont centrales, les revendications autour du « pouvoir d'achat » ne forment qu'une partie des doléances exprimées par les Gilets jaunes. À côté de la revalorisation des retraites, du SMIC et de la baisse de TVA sur les produits de première nécessité, de nombreuses demandes portent sur la justice sociale et fiscale, l'organisation de la vie démocratique, la moralisation de la vie politique ou encore, l’environnement. Bref, ici comme dans beaucoup d'autres endroits, les slogans et les thèmes portés par les gilets jaunes ne sont pas ceux de l’extrême-droite.
Le mercredi après-midi, le camp se transforme en atelier dessin. Guillaume est venu avec ses deux enfants et tout le monde veille sur eux. Des formes d’auto-organisation populaire tendent ainsi à souder des gens qui, auparavant, n’étaient pas forcément liés entre eux. Une façon encore de recréer des solidarités à l'échelon locale et parfois d'inventer de nouvelles formes de vie collective.
Comme d'autres, Jean met ses compétences au service du collectif. Bientôt, une chambre parfaitement isolée pourra accueillir les Gilets jaunes qui souhaitent dormir sur place. Une nécessité pour ne pas laisser le camp sans surveillance. Plusieurs d'entre eux ont déjà brûlé ou été victimes de vandalisme depuis le début du mouvement.
Situés sur des lieux « neutres » très différents des espaces investis habituellement par les militants, les camps accueillent des itinérants aux profils variés qui font des haltes pour encourager et soutenir les gilets jaunes. L'appropriation de ce type d'espace explique sans doute en partie le caractère à la fois "transclasse", "transgénérationnel", et "transpolitique" du mouvement.
Valérie (bénévole à la SPA) discute avec Réné (retraité) en préparant les thermos de café pour les visiteurs de passage. Au Bois de Lihus, l'espace de vie est chaque jour un peu plus agréable grâce à de petites améliorations matérielles et esthétiques. Celles-ci contribuent à la chaleur du lieu et, plus fondamentalement, à la reconstruction de sociabilités dans des zones géographiques où elles se sont en partie délitées du fait des transformations économiques (réduction du nombre de cafés, des petits commerces de proximité, des fêtes de village, etc.)
Environ 1 mois après le début du mouvement, le gouvernement demande l'évacuation des ronds points occupés. Bien que certains maires et même certains gendarmes soient solidaires des gilets jaunes, des lieux de repli sont recherchés un peu partout. C'est notamment à cette condition que le mouvement peut tenir.
Moment de discussion et de prises de décision collectives, les réunions hebdomadaires sont aussi un espace de repolitisation accélérée des classes populaires, en particulier pour les personnes exclues ou auto exclues du jeu politique institutionnel. Les femmes, traditionnellement plus effacées et en retrait sur les questions proprement politiques, prennent ici la parole et orientent souvent les débats.
Régis (chauffeur livreur) et Véronique (employée) sont à l'écoute. Les réunions durent 1h30 maximum mais elles sont intenses. Modestement, chacun essaye d’apporter sa pierre pour consolider et amplifier le mouvement. Ici, pas d’effet de manche, pas de mots inutiles, pas de chefs ou de leader. Et ça tient : des gens, pour partie exclus de la vie institutionnelle et politique recréent des espaces publics de discussions démocratiques.
Pendant une réunion, Corinne (ouvrière sur chaîne) et Anita (fonctionnaire territoriale à la retraite) identifient le visage d'un journaliste local couvrant les mobilisations. Suite à des reportages qui décrédibilisaient le mouvement, plusieurs gilets jaunes estiment que la victoire passe désormais par un contrôle étroit de ses interlocuteurs et une lutte pour la réappropriation démocratique des médias dominants.
Gaëtan, ouvrier dans le bâtiment, effectue un retour sur les difficultés rencontrées lors des dernières actions. Ce soir de janvier, la cabane de Chevrières est pleine à craquer. Un second problème est posé : Comment faire pour que tout le monde s'exprime ? Comment faire pour libérer la parole de celles et ceux qui n'osent la prendre ?