Le SOS des Gilets jaunes de Senlis
Read MoreÉlodie rejoint les Gilets jaunes pour le réveillon du jour de l’an. Trente cinq ans, d’origine polonaise, elle a arrêté ses études à 18 ans dans la foulée de l’obtention d’un bac pro. Après avoir été successivement fleuriste, assistante maternelle, secrétaire, agent de contrôle qualité dans l’automobile, elle est aujourd’hui responsable adjointe des stocks dans une entreprise de transport logistique. Séparée, elle élève seule ses trois enfants ainsi que sa nièce de 16 ans dans un HLM de la région. Sa vie est rythmée par ses enfants : « Levée à 5 heures pour gérer ma maison et couchée après 23 heures une fois tout préparé pour le lendemain et ainsi de suite ». Du mouvement des Gilets jaunes, elle attend une vie meilleure pour elle et surtout pour sa famille : « Ce combat, c’est surtout pour mes enfants, je ne leur souhaite pas ma vie à calculer au centime près. […] Si on peut gagner 3 euros par-ci par-là en économisant sur la TVA en général, le gaz, l’électricité, l’eau, la nourriture, la taxe carbone sur les voitures, c’est toujours ça pour se faire plaisir ou faire plaisir à nos enfants. » L'accent mis sur la "famille" dans les discours des gilets jaunes tend à souder le groupe. Il renvoie aussi à la place centrale qu'elle occupe en milieu populaire et notamment à sa fonction de "revalorisation symbolique". Avoir des sources d'épanouissement en dehors du cercle familial demanderait du temps disponible, de l'argent, et plus généralement des dispositions en affinité avec l'offre locale de loisir - lorsque celle-ci existe encore.
Muriel surnommée "Domu" fait partie des femmes retraitées qui occupent une place centrale dans l'organisation et le fonctionnement du camp. Il s'agit d'une ancienne secrétaire de direction qui parle trois langues. Pour elle et son mari, c'est l'augmentation du nombre de personnes ayant recours aux Resto du cœur qui les a mobilisés en faveur des gilets Jaunes. Plus souvent engagés dans la vie associative, ces retraités servent de "passeur" ou d'intermédiaire entre des personnes de milieux différents : « (Ici) on se croirait sur la place du village. Je ne connaissais pas ces gens avant de venir, ce qui me frappe le plus c’est cette solidarité entre nous. Avec internet, les réseaux sociaux, on ne connaît plus ses voisins, on ne sort plus de chez nous. Ici, on se rencontre (…) et chacun vient avec ses idées. ».
Sur un rond-point de Senlis, le 19 décembre 2018, un Gilet jaune remercie un automobiliste de son soutien. En investissant des lieux de « passage » et en renouvelant les formes d’actions collectives (avec des opérations de filtrage ou de péages gratuits), le mouvement des Gilets jaunes a contribué à à toucher un public plus large que celui des cercles militants traditionnels.
Approvisionnée par des habitants des villages alentours ou des automobilistes de passage, la cuisine du rond point de Senlis est particulièrement bien achalandée. Ce camp comporte plusieurs espaces habitables dont un chauffé avec un poêle à bois lui aussi gracieusement déposé par une personne solidaire du mouvement. De grandes tentes ont été montées pour faciliter le couchage des gens qui restent sur place la nuit. Ici comme ailleurs, un règlement intérieur a été affiché appelant à la courtoisie, au partage des tâches ménagères entre les occupants, à la nécessité de maintenir le lieu propre, à trier les déchets, etc. Le soir du 31, il y aura exceptionnellement de l'alcool même si en temps normal sa consommation est proscrite ou étroitement régulée.